Pour la troisième fois en dix ans, les ruelles et les ponts stambouliotes se dévoilent. Au souvenir de ces voyages, il s’avère que la ville a changé et paradoxalement elle est restée la même. Intrigante et mystérieuse, certaines fois inquiétante, évidemment resplendissante et somptueuse, par moment décrépite, odorante et bruyante et bien malgré tout pieuse et silencieuse.

Orhan Pamuk est l’écrivain turc qui fait la plus belle éloge de sa ville natale dont il est éperdument amoureux. La lecture de Mon nom est Rouge s’est imposée comme une évidence après ce séjour stambouliote.
Sur les toits orientés au nord, sur le côté des coupoles exposé au vent de borée, la neige se maintenait. Les voiles d’un navire de retour au port, comme on les amenait, semblaient me saluer en frissonnant. Elles avaient la même couleur de plomb et de brume que la surface de l’eau. Les cyprès et les platanes, la vue des toits, la tristesse du soir qui tombe, les voix qui montent de l’intérieur des quartiers, avec les cris de vendeurs ambulants ou des enfants qui jouent dans la cour de la mosquée, il n’est pas étonnant que tout cela réuni m’ait persuadé que je ne pourrais plus vivre ailleurs. – Extrait du roman
Ce bel ouvrage rend hommage à Istanbul, au travail des peintres et des miniaturistes et plus largement à la culture turque. Cette enquête policière sur fond de romance et de peinture se situe à la fin du XVIème siècle. Si le roman nous transporte quelques centaines d’années plus tôt, il est possible de reconnaître les traits de la ville actuelle et ses ambiances. Ce reportage historique détaille le milieu de la miniature et de la peinture dans les années 1600. Plusieurs artistes, personnages du Coran, figures emblématiques dans le monde de la miniature ou bien certains objets, prendront la parole pour dépeindre la vision de la société turque Ottomane et donner naissance à ce roman polyphonique.
Cela m’a inquiété d’abord, et je faisais de grands efforts pour me rappeler ce visage, avant de comprendre enfin que l’homme, quel que soit son amour, finira toujours par oublier un visage qu’il n’a plus l’habitude de voir. – Extrait du roman

L’écriture d’Orhan Pamuk met en lumière les questions de religion qui sont déjà présentes alors, mais qui resurgissent aujourd’hui. Il est possible de déceler les traditions religieuses, les pratiques et la ferveur de certains imams et prêcheurs. Les descriptions font échos au monde contemporain, tout en nous renseignant davantage sur les pratiques d’aujourd’hui à la lumière du passé.
La peinture est silence pour l’esprit et musique pour l’œil. – Extrait du roman
A travers cette guerre larvée entre les différents courants artistiques, l’écrivain rappelle combien la Turquie par son histoire et par sa géographie est un pont entre deux cultures. Ce roman plonge le lecteur dans l’univers Ottoman et montre à quel point le pays est tiraillé entre Orient et Occident, entre conservatisme et liberté, entre modernité et tradition.

Orhan Pamuk, récompensé par le prix Nobel de la littérature en 2006 pour l’ensemble de son oeuvre, est un écrivain engagé. Après avoir subit des menaces, il a évité de justesse un procès pour « insulte à l’identité turque ». En 2005, il a reconnu publiquement le génocide Arménien et la répression du peuple kurde.
Le véritable trouble réside plutôt dans le fait que beaucoup d’intellectuels et de décideurs (turcs) estiment qu’être à la fois en Occident et en Orient représente une maladie. Nous sommes en effet géographiquement à la frontière entre deux mondes et notre histoire comme notre culture en découlent. À mes yeux cela représente une chance. Nous avons des partis qui veulent une Turquie totalement occidentale, ou totalement turque, ou totalement islamique. Ces projets radicaux sont réducteurs. Notre richesse est au contraire d’être tout cela à la fois. – Orhan Pamuk, 2006 (1)
PAMUK Orhan, Mon nom est Rouge, publié aux éditions İletişim Yayınları à Istanbul, 1998, traduit en français par Gilles Authier en 2001.
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Lectures
1. Marc Semo, « Orhan Pamuk, Un prix Nobel de littérature entre deux mondes », Journal Libération, 12 octobre 2006, https://next.liberation.fr/livres/2006/10/12/orhan-pamuk-un-nobel-de-litterature-entre-deux-mondes_6615
- Article et critique de l’ouvrage Mon Nom est Rouge : Koula Mellos, « L’identité turque à la croisée des chemins : Mon nom est Rouge d’Orhan Pamuk », Article paru dans la revue Raison Publique n°10, traduit par Solange Chavel et Sylvie Cervoise, mai 2009 : https://www.raison-publique.fr/article584.html
- Interview de l’écrivain Orhan Pamuk : Christophe Ono-dit-Biot, interview d’Orhan Pamuk, « Orhan Pamuk : La Turquie, Œdipe, Flaubert et moi », émission Le Temps des écrivains, France Culture, 23 mars 2019 : https://www.franceculture.fr/emissions/le-temps-des-ecrivains/entretien-avec-orhan-pamuk
- Orhan Pamuk, « Balkon », Exposition photographique liée à l’ouvrage du même nom, du 6 février au 7 avril 2019, Bâtiment Yapi Kredi sur l’avenue Istiklal : https://www.redaction.media/articles/turquie-lexposition-de-photos-dorhan-pamuk-prix-nobel-de-litterature-2006/
[…] Mon nom est Rouge d’Orhan Pamuk […]
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